La longue marche de la Turquie vers l’Union européenne

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La Turquie a officiellement déposé sa candidature à l’adhésion à la Communauté économique européenne (CEE) en 1987. En 1999, elle a obtenu le statut de candidat officiel, et les négociations d’adhésion ont commencé en 2005. Cependant, ces négociations ont été marquées par des avancées lentes et des périodes de stagnation.

Highlights :

  • La Turquie frappe à la porte de l’UE depuis des décennies sans succès
  • Des progrès économiques et démocratiques importants ont été réalisés par Ankara
  • Les critères d’adhésion semblent appliqués de manière inégale selon les pays
  • Les différences culturelles et religieuses constituent un obstacle majeur
  • Les résultats des prochaines élections turques pourraient influencer la direction des réformes internes et les relations avec l’UE
Turquie 2024

Depuis plus d’un demi-siècle, la Turquie aspire à rejoindre le club européen. Malgré des efforts considérables et des progrès indéniables, son adhésion à l’Union européenne (UE) semble aujourd’hui plus incertaine que jamais. Entre critères d’adhésion stricts, réticences culturelles et considérations géopolitiques, le chemin d’Ankara vers Bruxelles s’avère semé d’embûches. Retour sur un processus complexe qui illustre les défis de l’élargissement européen et les limites du projet d’intégration continental.

Les critères de Copenhague : la clé d’entrée dans l’UE

Pour adhérer à l’Union européenne, tout pays candidat doit satisfaire à un ensemble de conditions connues sous le nom de « critères de Copenhague ». Adoptés en 1993 lors d’un sommet européen dans la capitale danoise, ces critères définissent les prérequis politiques, économiques et administratifs que doivent remplir les États souhaitant rejoindre l’UE.

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Les critères de Copenhague se déclinent en trois grandes catégories :

  1. Critères politiques : Le pays candidat doit disposer d’institutions stables garantissant la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et le respect des minorités.
  2. Critères économiques : Le pays doit être doté d’une économie de marché viable et capable de faire face à la concurrence au sein du marché unique européen.
  3. Critères juridiques : Le pays doit être en mesure d’assumer les obligations découlant de l’adhésion, notamment en adoptant et en appliquant l’ensemble de la législation européenne (l’acquis communautaire).

Ces critères visent à garantir que les nouveaux États membres seront en mesure de s’intégrer harmonieusement dans l’UE et de contribuer à son bon fonctionnement. Ils constituent donc un cadre de référence essentiel pour évaluer la candidature de la Turquie.

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Le parcours de la Turquie : une histoire de hauts et de bas

L’histoire des relations entre la Turquie et l’Union européenne remonte à 1959, lorsqu’Ankara a déposé sa première demande d’association à la Communauté économique européenne (CEE), l’ancêtre de l’UE. Depuis lors, le processus a connu de nombreux rebondissements :

  • 1963 : Signature de l’accord d’association entre la Turquie et la CEE, ouvrant la voie à une future adhésion.
  • 1987 : La Turquie dépose officiellement sa candidature à l’adhésion à la CEE.
  • 1999 : Lors du sommet d’Helsinki, l’UE reconnaît à la Turquie le statut de pays candidat.
  • 2002 : Arrivée au pouvoir du Parti de la Justice et du Développement (AKP) de Recep Tayyip Erdogan, qui lance un vaste programme de réformes visant à satisfaire les critères de Copenhague.
  • 2005 : Ouverture officielle des négociations d’adhésion entre la Turquie et l’UE.
  • 2016 : Tentative de coup d’État en Turquie, suivie d’une répression qui suscite l’inquiétude de l’UE.
  • 2018 : Gel des négociations d’adhésion par l’UE en raison de préoccupations concernant l’État de droit en Turquie.

Ce parcours illustre la complexité et la durée du processus d’adhésion, ainsi que les obstacles politiques et diplomatiques qui peuvent survenir.

Les réformes turques : des efforts considérables mais insuffisants

Depuis le début des années 2000, la Turquie a entrepris d’importantes réformes pour se conformer aux critères de Copenhague et se rapprocher des standards européens. Ces efforts ont été particulièrement marqués sous les gouvernements de l’AKP :

Réformes économiques :

  • Stabilisation macroéconomique et contrôle de l’inflation
  • Libéralisation de l’économie et privatisations
  • Amélioration du climat des affaires et attraction des investissements étrangers
  • Développement des infrastructures et modernisation de l’industrie

Ces mesures ont permis à la Turquie de connaître une croissance économique impressionnante, avec un triplement du PIB par habitant entre 2001 et 2010.

Réformes politiques et juridiques :

  • Réduction du rôle de l’armée dans la vie politique
  • Renforcement des droits des minorités, notamment kurdes
  • Abolition de la peine de mort
  • Amélioration de la liberté d’expression et d’association
  • Réforme du système judiciaire

Ces réformes ont contribué à moderniser le cadre institutionnel et juridique turc, le rapprochant des standards européens en matière de démocratie et d’État de droit.

Cependant, malgré ces avancées, l’UE continue de pointer du doigt certaines lacunes, notamment en ce qui concerne l’indépendance de la justice, la liberté de la presse et le respect des droits de l’homme. Les événements survenus après la tentative de coup d’État de 2016 ont notamment suscité de vives inquiétudes quant au recul démocratique en Turquie.

Les obstacles à l’adhésion : au-delà des critères formels

Si les critères de Copenhague constituent le cadre officiel d’évaluation des candidatures, d’autres facteurs, moins tangibles mais tout aussi importants, influencent le processus d’adhésion de la Turquie :

  1. La taille et la démographie : Avec ses 84 millions d’habitants, la Turquie serait, en cas d’adhésion, le deuxième pays le plus peuplé de l’UE après l’Allemagne. Cette perspective soulève des inquiétudes quant à l’équilibre des pouvoirs au sein des institutions européennes et à la capacité d’absorption de l’UE.
  2. La géographie : Située à cheval entre l’Europe et l’Asie, la Turquie poserait la question des frontières de l’UE. Son adhésion étendrait considérablement les frontières de l’Union, la mettant en contact direct avec des zones de conflit comme le Moyen-Orient.
  3. La religion et la culture : La Turquie est un pays majoritairement musulman, ce qui soulève des interrogations sur sa compatibilité avec les valeurs judéo-chrétiennes souvent associées à l’identité européenne. Certains dirigeants européens, comme l’ancien président français Nicolas Sarkozy, ont explicitement mentionné cet aspect comme un obstacle à l’adhésion.
  4. L’histoire : Les relations historiques complexes entre la Turquie (héritière de l’Empire ottoman) et l’Europe pèsent encore sur les perceptions mutuelles. Les conflits passés et les tensions actuelles, notamment avec la Grèce et Chypre, compliquent le processus d’adhésion.
  5. Les enjeux migratoires : La position géographique de la Turquie en fait un pays de transit majeur pour les flux migratoires vers l’Europe. Cette situation a donné lieu à des négociations tendues entre Ankara et Bruxelles, notamment lors de la crise migratoire de 2015-2016.

Ces facteurs, bien que non officiellement reconnus comme critères d’adhésion, jouent un rôle crucial dans les réticences de certains États membres à l’égard de la candidature turque.

Le double standard européen : une application inégale des critères ?

L’un des principaux arguments avancés par les partisans de l’adhésion turque est que l’UE applique un « double standard » dans l’évaluation des candidatures. Plusieurs éléments viennent étayer cette critique :

  1. Comparaison avec d’autres pays candidats : Certains pays d’Europe centrale et orientale ont été admis dans l’UE malgré des indicateurs économiques et démocratiques parfois moins favorables que ceux de la Turquie. C’est notamment le cas de la Bulgarie et de la Roumanie, dont l’adhésion en 2007 a suscité des interrogations.
  2. Situation économique de certains États membres : Des pays comme la Grèce, le Portugal ou l’Espagne connaissent des difficultés économiques récurrentes et dépendent fortement des mécanismes de solidarité européens. Pourtant, leur appartenance à l’UE n’est pas remise en question.
  3. Problématiques démocratiques au sein de l’UE : Certains États membres, comme la Hongrie ou la Pologne, font l’objet de critiques concernant le respect de l’État de droit. Néanmoins, les sanctions à leur encontre restent limitées par rapport aux blocages imposés à la Turquie.
  4. Traitement différencié des minorités : Alors que l’UE insiste sur le respect des droits des minorités en Turquie, certains États membres connaissent eux-mêmes des tensions avec leurs propres minorités (Basques en Espagne, Roms en Europe centrale, etc.).

Ces éléments alimentent le sentiment, côté turc, d’un traitement injuste et discriminatoire. Ils soulignent également la difficulté pour l’UE de maintenir une cohérence dans l’application de ses critères d’adhésion.

Les positions des États membres : un consensus impossible ?

L’adhésion d’un nouveau pays à l’UE nécessite l’unanimité des États membres. Or, concernant la Turquie, les positions sont très divisées :

Pays favorables :

  • Royaume-Uni (avant le Brexit) : Historiquement pro-turc, Londres voyait dans l’adhésion turque un moyen de diluer l’influence franco-allemande au sein de l’UE.
  • Pologne, Hongrie : Ces pays considèrent que l’adhésion turque renforcerait le poids des « nouveaux » États membres face au « noyau dur » occidental.
  • Espagne, Italie : Favorables à un élargissement vers le sud de la Méditerranée.

Pays réticents :

  • France : Sous la présidence de Nicolas Sarkozy puis d’Emmanuel Macron, Paris s’est montré ouvertement opposé à l’adhésion turque, proposant plutôt un « partenariat privilégié ».
  • Allemagne : Bien que plus nuancée, l’Allemagne reste prudente, notamment en raison de sa importante communauté d’origine turque.
  • Autriche : Fermement opposée à l’adhésion turque, l’Autriche a même proposé d’organiser un référendum sur la question.
  • Grèce, Chypre : En raison des tensions historiques et des conflits territoriaux avec la Turquie, ces deux pays posent régulièrement leur veto à l’avancée des négociations.

Cette division au sein de l’UE rend extrêmement difficile tout progrès significatif dans le processus d’adhésion de la Turquie.

L’évolution des relations UE-Turquie : entre coopération et tensions

Malgré les obstacles à l’adhésion, les relations entre l’UE et la Turquie restent étroites et complexes :

Coopération économique :

  • L’UE est le principal partenaire commercial de la Turquie, représentant environ 40% de ses échanges.
  • La Turquie fait partie de l’union douanière européenne depuis 1995.
  • De nombreuses entreprises européennes sont implantées en Turquie, profitant de sa main-d’œuvre qualifiée et de sa position stratégique.

Coopération sécuritaire :

  • La Turquie est un membre clé de l’OTAN et joue un rôle crucial dans la sécurité du flanc sud-est de l’Europe.
  • Ankara est un partenaire important dans la lutte contre le terrorisme et le contrôle des flux migratoires.

Tensions récurrentes :

  • Désaccords sur la gestion de la crise migratoire et le respect de l’accord UE-Turquie de 2016.
  • Inquiétudes européennes concernant les dérives autoritaires du régime d’Erdogan.
  • Conflits en Méditerranée orientale, notamment autour de l’exploitation des ressources gazières.
  • Divergences sur la politique régionale, en particulier concernant la Syrie et la Libye.

Ces relations ambivalentes illustrent à la fois l’interdépendance entre l’UE et la Turquie et les difficultés à trouver un terrain d’entente durable.

Perspectives d’avenir : quelles alternatives à l’adhésion ?

Face au blocage du processus d’adhésion, plusieurs options sont envisagées pour l’avenir des relations UE-Turquie :

  1. Le « partenariat privilégié » : Proposé notamment par la France et l’Allemagne, ce statut offrirait à la Turquie une coopération renforcée avec l’UE sans pour autant lui accorder une adhésion pleine et entière. Cette option est cependant rejetée par Ankara, qui la considère comme un lot de consolation inacceptable.
  2. L’approfondissement de l’union douanière : Une modernisation et une extension de l’accord douanier existant pourraient renforcer l’intégration économique sans soulever les questions politiques liées à l’adhésion.
  3. La coopération sectorielle renforcée : L’UE et la Turquie pourraient développer des partenariats ciblés dans des domaines d’intérêt mutuel comme l’énergie, la sécurité ou l’innovation.
  4. Le « modèle norvégien » : La Turquie pourrait, à l’instar de la Norvège, intégrer l’Espace économique européen, bénéficiant ainsi d’un accès au marché unique sans être membre à part entière de l’UE.
  5. Le statu quo : Le maintien de la situation actuelle, avec des négociations d’adhésion formellement ouvertes mais de facto gelées, pourrait perdurer, permettant à chaque partie de garder ses options ouvertes.

Un processus dans l’impasse

Après plus de 60 ans de relations tumultueuses, l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne semble aujourd’hui plus improbable que jamais. Les efforts considérables consentis par Ankara pour se conformer aux critères de Copenhague n’ont pas suffi à surmonter les obstacles politiques, culturels et géostratégiques qui se dressent sur son chemin.

Le processus d’adhésion, initialement conçu comme un puissant levier de transformation et de modernisation pour la Turquie, a paradoxalement contribué à accentuer les divergences entre les deux parties. Les frustrations

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